Haïti : L’ULCC révèle de graves irrégularités dans les déclarations de patrimoine de Michel Martelly.

- Corruption - December 8, 2025

L’Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) a rendu public un rapport d’enquête qui met en cause l’ancien président haïtien Michel Joseph Martelly pour de graves irrégularités dans ses déclarations de patrimoine. Ce document, fondé sur plusieurs mois d’investigations, relève des omissions significatives, des incohérences majeures et des éléments susceptibles d’alimenter des soupçons d’enrichissement illicite et de dissimulation volontaire.

L’ULCC rappelle que la loi du 12 février 2008 impose à tous les présidents, ministres et hauts fonctionnaires de l’État de déposer une déclaration de patrimoine à leur entrée et à leur sortie de fonction. De plus, le décret du 8 septembre 2004 confère à l’institution la mission de vérifier l’exactitude et la sincérité de ces informations, toute fausse déclaration pouvant entraîner des poursuites pour faux et usage de faux. Or, selon les enquêteurs, Michel Martelly n’a pas respecté ces obligations. À son entrée en fonction en 2011, il a soumis son dossier avec un mois de retard, et à sa sortie de fonction, il n’a déposé sa déclaration qu’en 2018, soit deux ans après la fin de son mandat, en violation nette des délais légaux.

Le rapport met en évidence des écarts considérables dans les déclarations financières de l’ancien chef de l’État. Alors que Martelly n’avait mentionné que quelques comptes ouverts à la Capital Bank, l’ULCC affirme en avoir identifié vingt, reliés à lui-même, à son épouse Sophia Saint-Rémy Martelly ou à des entités associées. Parmi ces comptes figurent des comptes liés à sa campagne électorale ou à la Fondation Rose et Blanc, qui ne sont évoqués dans aucun des documents officiels soumis aux autorités. Les enquêteurs soulignent également des dépôts importants, des prêts bancaires et des mouvements de fonds en devises étrangères qui apparaissent dans les relevés obtenus, mais pas dans les formulaires signés par l’ancien président. L’absence de traçabilité de plusieurs flux financiers pourrait constituer une violation des lois anti-blanchiment et de lutte contre le financement illicite.

Des irrégularités importantes concernent également le patrimoine immobilier. En 2011, Michel Martelly avait déclaré quatre propriétés, situées notamment à Miami et Pétion-Ville. En 2018, sa déclaration fait état de six biens, dont une maison acquise en 2012 à Saint-Marc pour 180 000 dollars, sans qu’aucun justificatif ne précise l’origine des fonds utilisés pour cet achat. Les enquêteurs notent en outre la disparition inexpliquée d’une propriété située à la rue Villate, à Pétion-Ville, ainsi que l’omission d’un appartement à Puits-Blain, évalué à environ 1,5 million de dollars. Pour l’ULCC, ces anomalies renforcent les soupçons de dissimulation d’actifs ou de gains illégitimes.

Le rapport pointe également des incohérences dans la déclaration de véhicules et d’actifs commerciaux. Deux véhicules Toyota mentionnés en 2011 n’apparaissent plus en 2018, sans preuve de vente ou de transfert. En 2015, Martelly a déclaré des actions dans la société M6 Consult S.A., actions ensuite transférées à son épouse. Or, le Ministère du Commerce et de l’Industrie confirme l’existence d’autres entreprises associées au couple présidentiel qui ne figurent dans aucune déclaration.

Les revenus déclarés par l’ancien président et son épouse présentent eux aussi des contradictions frappantes. Les revenus artistiques de Martelly, liés à ses activités musicales, passent ainsi de 100 000 dollars en 2011 à 370 400 dollars en 2018, une hausse de 270 % qui n’est accompagnée d’aucun document justificatif. Pour les revenus locatifs, il déclare 138 000 dollars, mais ne fournit aucun bail notarié ni titre foncier pour appuyer cette information. De son côté, Sophia Martelly rapporte 60 000 dollars de revenus commerciaux, alors que les revenus familiaux consolidés indiquent 348 000 dollars. Elle omet également de déclarer les fonds perçus dans le cadre de ses fonctions de conseillère rémunérée par le Trésor public.

Dans ses conclusions, l’ULCC estime que les déclarations de patrimoine de Michel Martelly sont « fausses, incomplètes et irrégulières ». L’institution souligne que les anomalies relevées pourraient justifier des poursuites pour faux, usage de faux et enrichissement illicite. Cette affaire, qui concerne un ancien chef de l’État, met une nouvelle fois en lumière les difficultés persistantes auxquelles est confrontée la gouvernance haïtienne. Elle soulève surtout la question de la transparence et de la reddition de comptes au plus haut niveau de l’État, dans un pays où la lutte contre la corruption demeure un enjeu crucial pour la crédibilité des institutions.

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