Haïti : l’illusion sécuritaire d’une solidarité internationale en crise

- Politique - December 14, 2025

La promesse d’une nouvelle force de sécurité internationale en Haïti, soutenue par 18 pays, est présentée comme un tournant décisif dans la lutte contre les gangs armés. Pourtant, à la lumière des expériences récentes — notamment l’échec patent de la mission kényane — cette annonce suscite davantage de scepticisme que d’espoir. Elle révèle, une fois encore, la tentation de répondre à une crise politique et sociale profonde par une solution essentiellement militaire, au risque de répéter les erreurs du passé.

La mission kényane, déployée pour renforcer la lutte contre les groupes armés, devait incarner une réponse pragmatique à l’urgence sécuritaire. Or, malgré la présence de policiers supplémentaires, la réalité sur le terrain est restée largement inchangée. Les gangs continuent de contrôler des territoires entiers, d’imposer leur loi à la population et de défier ouvertement l’autorité de l’État. Cette impuissance opérationnelle a mis en évidence une vérité dérangeante : sans stratégie politique claire, sans institutions haïtiennes fonctionnelles et sans ancrage social, toute intervention étrangère est vouée à l’inefficacité.

C’est dans ce contexte que l’on annonce aujourd’hui la participation de pays comme le Sri Lanka, le Bangladesh ou plusieurs États africains. Or, ces nations sont elles-mêmes confrontées à des crises structurelles majeures : instabilité politique, fragilité économique, tensions sociales persistantes. Le Sri Lanka, symbole récent d’un effondrement économique spectaculaire, peine encore à reconstruire son propre contrat social. Dès lors, une question s’impose avec force : comment des États en difficulté peuvent-ils prétendre restaurer la sécurité et la stabilité dans un pays qui cumule les mêmes maux, souvent de manière plus aiguë encore ?

Cette configuration interroge la crédibilité même de la mission. Elle donne l’impression d’un recyclage de forces issues de pays fragiles, mobilisées non pas en raison de leur expertise avérée en matière de stabilisation, mais parce qu’elles sont disponibles, moins coûteuses politiquement et plus acceptables pour les grandes puissances qui pilotent la stratégie à distance. Haïti devient ainsi le théâtre d’une solidarité asymétrique, où l’urgence humanitaire masque mal une absence de vision à long terme.

L’enjeu, pourtant, dépasse la seule question sécuritaire. La prolifération des gangs est le symptôme d’un État déliquescent, privé de légitimité démocratique, incapable de fournir des services de base et miné par la corruption. Tant que ces causes profondes ne seront pas traitées, aucune force étrangère — qu’elle soit composée de 1 000 ou de 5 500 hommes — ne pourra durablement inverser la dynamique actuelle.

L’échec de la mission kényane aurait dû servir de leçon. Il aurait dû inciter à repenser l’approche, à privilégier la reconstruction institutionnelle, le dialogue politique inclusif et le soutien massif aux forces nationales haïtiennes. Au lieu de cela, la communauté internationale semble persister dans une logique de substitution, où l’on agit à la place de l’État haïtien plutôt que de l’aider à se reconstruire.

Haïti n’a pas besoin d’une accumulation de contingents venus de pays eux-mêmes fragilisés. Elle a besoin d’un engagement international responsable, cohérent et profondément politique. À défaut, cette nouvelle force de sécurité risque de n’être qu’un épisode supplémentaire dans une longue série d’interventions inefficaces, laissant derrière elles le même constat amer :

On ne stabilise pas un pays en crise en important des solutions venues de pays eux-mêmes en crise.

Jefferson Bonissant

Global infos

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