Lettre ouverte aux membres du Conseil présidentiel de transition et au Premier ministre

- Opinion - May 9, 2025

Port-au-Prince, le 9 Mai 2025

Mesdames et Messieurs les membres du Conseil présidentiel de transition,

Monsieur le Premier ministre,

Je m’adresse à vous aujourd’hui non seulement en tant qu’étudiant en administration publique à l’Université de Port-au-Prince, mais surtout en tant que jeune Haïtien témoin et victime d’une réalité de plus en plus insupportable. Je prends la parole au nom de tous ceux qui n’en ont plus la force. De cette jeunesse qui, comme moi, refuse de céder à la violence, qui croit encore à la puissance de l’éducation, mais qui se retrouve enfermée, piégée, asphyxiée par l’insécurité.

Chaque jour, notre avenir s’effrite. Les universités ferment leurs portes les unes après les autres. Pas à cause d’un manque d’élèves ou de professeurs, mais parce que la violence armée s’est installée durablement dans nos rues. La FASCH, l’INAGHEI, l’ENS, la FDSE, la FDS, l’IERAH/ISERSS, l’Université de Port-au-Prince et tant d’autres, toutes ont dû suspendre leurs activités en présentiel. Nos locaux sont devenus des lieux vides, hantés par le silence et la peur.

Le mardi 11 février 2025, un drame a bouleversé notre communauté universitaire. Macénat Lebelt, étudiant au Centre d’Études Diplomatiques et Internationales (CEDI), a été mortellement atteint par une balle perdue en pleine salle de classe, alors qu’il assistait à un exposé dans la salle 14 de l’institution, située à Bourdon. Il n’était pas dans la rue. Il n’était pas dans une zone de conflit. Il était à l’école, dans un espace supposé être sûr. Et pourtant, il est tombé. Paix à son âme. 

Depuis, la peur pousse plusieurs jeunes à quitter la capitale pour se réfugier dans des villes de province. Non pas par confort, mais parce qu’ils n’ont tout simplement plus nulle part où rester à Port-au-Prince.

Pour tenter de sauver ce qui peut l’être, plusieurs universités ont basculé vers les cours en ligne. Mais là encore, rien n’est simple. Les réseaux internet de la DIGICEL et de la NATCOM sont instables, souvent inaccessibles. Les connexions mauvaises, les cours ne passent pas bien. Apprendre devient un parcours du combattant, un véritable calvaire. Pourquoi devons-nous encore faire ce sacrifice supplémentaire juste pour étudier ? Pourquoi est-ce à nous de nous adapter à une crise permanente ? Nous ne pouvons pas aller dans nos locaux, et même en ligne, il nous faut lutter à chaque instant pour une connexion. L’école devient un combat sur tous les fronts.

Aujourd’hui, étudier est un acte de courage. Sortir de chez soi est un pari. Et nous, jeunes de ce pays, sommes contraints de choisir entre notre avenir et notre survie. Ce choix est inacceptable.

Faut-il partir ? Est-ce la seule solution ? Ce dilemme nous habite chaque jour. Mais partir, c’est abandonner notre pays, nos familles, notre culture INVOLONTAIREMENT. Ce n’est pas ce que nous voulons. Nous voulons vivre ici, apprendre ici, travailler ici. Nous voulons construire Haïti, pas la fuir.

Mais pour cela, nous avons besoin d’un pays qui nous protège. D’un État qui se soucie de ses enfants. D’institutions qui garantissent le droit à l’éducation dans un environnement sûr. Sans cela, que restera-t-il ? Une génération sacrifiée sur l’autel de l’indifférence et de l’impuissance ?

Nous ne réclamons pas l’impossible. Nous demandons simplement de pouvoir étudier sans craindre pour nos vies. De pouvoir marcher dans nos rues sans regarder derrière nous à chaque pas. De pouvoir rêver, tout simplement.

Vous avez aujourd’hui la responsabilité historique de ne pas nous abandonner. D’écouter cette jeunesse encore debout malgré la peur, malgré la fatigue. De lui tendre la main avant qu’elle ne tombe à genoux, ou qu’elle ne parte pour de bon.

Nous ne voulons pas être oubliés. Nous voulons exister, apprendre, bâtir et espérer ici, chez nous, en Haïti.

Respectueusement,

Laurent John Brown Zacharie 

Étudiant en administration publique

Université de Port-au-Prince

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